Loi Salduz : audition du mineur par la police[1].
Qui aurait cru que l’histoire d’un jeune berger turc, Yusuf Saldaz, arrêté en 2001 pour être soupçonné d’avoir participé à une manifestation illégale, allait modifier profondément les droits de toute personne lorsqu’elle est entendue par la police.
Après avoir épuisé les voies de recours internes, les avocats du jeune prévenu, condamné à 2 ans de prison après avoir reconnu sa participation à la manifestation lors de sa première audition par la police sans assistance d’un avocat, se pourvoient devant la Cour européenne des droits de l’Homme.
Le motif invoqué est une violation de l’article 6 de la CEDH : droit à avoir un procès équitable.
La Cour suivra la demande des plaideurs et motivera sa décision en insistant sur la vulnérabilité de la personne entendue par les forces de l’ordre:
« La Cour souligne l'importance du stade de l'enquête pour la préparation du procès, dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l'infraction imputée sera examinée au procès (Can c. Autriche, no 9300/81, rapport de la Commission du 12 juillet 1984, § 50, série A no 96). Parallèlement, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure, effet qui se trouve amplifié par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l'utilisation des preuves. Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l'assistance d'un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. Ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l'accusé (Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 100, CEDH 2006-..., et Kolu c. Turquie, no 35811/97, § 51, 2 août 2005) »
Les pays européens, dont la Belgique, vont tarder à intégrer cette position dans leur arsenal législatif et, bien souvent, il faudra attendre qu’ils soient, à leur tour, condamnés par la Cour pour que la loi soit modifiée.
En Belgique, la loi fut votée le 13 août 2011 (loi modifiant le Code d'instruction criminelle et la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive afin de conférer des droits, dont celui de consulter
un avocat et d'être assistée par lui, à toute personne auditionnée et à toute personne privée de liberté). Elle a été modifiée par la suite.
Par rapport aux mineurs, il convient d’être attentif aux points suivants :
La loi du 13 août 2011 est-elle applicable aux mineurs ?
C’est évidemment la première question qui vient à l’esprit : en quoi cette loi est-elle applicable aux personnes de moins de 18 ans ?
Question d’autant plus pertinente que l’assistance par un avocat est déjà prévue dans la loi du 8/4/1965 relative à la protection de la jeunesse[2] en ses articles 52ter et 54bis lorsque ce dernier comparait devant un juge de la jeunesse.
L’article 62 de la loi du 8 avril 1965 prévoie que :
« Sauf dérogation, les dispositions légales en matière de procédure civile s'appliquent aux procédures visées au titre II, chapitre II, ainsi qu'aux articles 63bis, § 2, et 63ter, alinéa 1er, b), et les dispositions légales concernant les poursuites en matière correctionnelle, aux procédures visées au titre II, chapitre III, et à l'article 63ter, alinéa 1er, a) et c)]. »
Les règles de procédure du code d’instruction criminelle sont donc applicables aux mineurs poursuivis pour avoir commis des faits qualifiés infractions. Partant, les modifications apportées par la loi analysée sont applicables aux mineurs.
La loi du 13 août 2011 s’applique aussi aux mineurs. Elle les vise d’ailleurs spécifiquement dans certains de ses articles.
Quels sont les droits reconnus par la loi du 13 août 2011 aux mineurs ?
La loi distingue trois types d’auditions en fonction du statut des personnes interrogées et y associe différents droits.
Schématiquement nous pourrions résumer la loi comme ceci : (Les droits prévus se cumulent. Ainsi, les droits prévus pour toute personne auditionnée se rajoute à ceux prévus pour un suspect etc…)
A) Droits reconnus à toute personne auditionnée: (47bis §1 CIC)
1) Devoirs d’information:
-> Information succincte sur les faits qui sont à la base de l’interrogatoire.
-> Information sur l’usage judiciaire qui pourra être fait de ses déclarations.
-> Information sur le droit de ne pas s’incriminer soi-même (Droit de se taire.)
2) Droits de :
-> Demander la retranscription intégrale des questions et réponses.
-> Demander que des actes d’information (complément d’enquête, vérification d’un alibi,…) ou des auditions (autres témoins, parents, confrontation avec co-auteur,…) soient effectués. Possibilité d’utiliser ses documents.
B) Droits reconnus à toute personne ayant le statut de suspect: (Art. 47 bis §2 CIC) : (Salduz 3)
1) Devoir d’information avant le début de l’audition :
-> Information succincte sur les faits qui sont à la base de l’interrogatoire.
-> Information sur le droit de ne pas s’incriminer soi-même.
-> Information sur le droit de choisir de ne pas répondre aux questions (droit de se taire) ou de faire une simple déclaration. Mais obligation pour le mineur de décliner son identité.
-> Information sur le droit de se concerter préalablement avec un avocat si le fait est susceptible de donner lieu à la délivrance d’un mandat d’arrêt.
2) Droits complémentaires à ceux reconnus par le 1er § :
-> Demander la retranscription intégrale des questions et réponses.
-> Demander que des actes d’information (complément d’enquête, vérification d’un alibi,…) ou des auditions (autres témoins, parents, confrontation avec co-auteur,…) soient effectués.
3) Droit de se concerter préalablement avec un avocat avant l’audition.
-> La personne auditionnée a le libre choix de son avocat.
-> Elle peut aussi demander la désignation d’un avocat Baj, si elle est dans les conditions pour en bénéficier.
-> Le mineur est toujours présumé indigent. Il a droit à l’aide juridique gratuite
-> Le mineur ne peut pas renoncer à ce droit.
4) Droit d’être assisté par un avocat lors de l’audition.
-> La directive 2016/800/UE du 11 mai 2016 du Parlement européen et du Conseil relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants soupçonnés ou poursuivis dans le cadre des procédures pénales ne contient aucune disposition qui permettrait qu’un mineur puisse renoncer à l’accès à un avocat. Il s’en déduit que ce dernier doit être assisté par un avocat.
-> Après avoir suivi cette position dans une première circulaire les procureurs généraux ont préciser les règles à suivre par la police dans une circulaire n° 12/2018 : (pour rappel, une circulaire des PG n’a pas valeur de loi et n’engage que le parquet et la police).
Pour les PG, l’audition du mineur en tant que suspect sans présence obligatoire d’un avocat est possible pour :
Dans les autres cas, l’assistance par un avocat lors de l’audition est la règle.
dans deux circonstances exceptionnelles, la circulaire permet qu’il soit procédé à l’audition du mineur sans la présence d’un avocat :
1° Si l’avocat ne se présente pas dans le délai de deux heures prenant cours à l’instant où le contact est pris avec l’avocat ou avec la permanence,
ou à l’heure convenue avec l’avocat, la police procède à l’audition du mineur sans l’assistance de l’avocat.
ou si, en cas de report à un autre jour convenu avec l’avocat lors de la concertation, l’avocat ne se présente pas à l’heure fixée
Dans ces deux hypothèses, si l’avocat arrive après le commencement de l’audition, il assiste le mineur pour la suite de celle-ci et il est demandé au mineur s’il confirme les déclarations déjà faites avant l’arrivée de l’avocat.
2° L’audition aura également lieu sans l’assistance de l’avocat si ce dernier, en accord avec le mineur, décide que cette assistance n’est pas nécessaire.
-> La circulaire des procureurs généraux prévoit aussi le recours à un formulaire de déclaration simplifiée dans certains cas:
vol simple (461, 463, al 1, et 465 CP) / détention de cannabis / détention d’armes autres que des armes à feu ou des explosifs / destruction volontaire d’un véhicule (521, al.3, CP) / destruction de monuments / tombes (526 CP) / destruction / détérioration de denrées ou autres propriétés mobilières (528 CP) / graffitis (534bis CP) / dégradations de propriétés immobilières d’autrui (534ter CP) / destructions de clôtures (545 CP)
C) Droits reconnus à toute personne privée de sa liberté: (2bis Loi sur la détention préventive) SALDUZ 4
1) Concertation préalable avec un avocat: (article 2bis §1 LDP)
-> Entre la privation de liberté et le premier interrogatoire.
-> La confidentialité de l’entretien doit être garantie.
-> Libre choix de l’avocat et, à défaut désignation par le bureau d’aide juridique.
-> Le mineur ne peut renoncer à ce droit.
-> Durée maximale de la concertation : 30 minutes.
-> La concertation doit avoir lieu dans les 2h suivant le moment où l’avocat a été prévenu.
-> Si la concertation confidentielle prévue n'a pas eu lieu dans les deux heures, une concertation confidentielle par téléphone a néanmoins encore lieu avec la permanence, après quoi l'audition peut débuter.
-> Tous ces éléments sont consignés avec précision dans un procès-verbal.
2) Assistance par un avocat lors de l’audition : (art. 2bis §2)
-> Droit à être assistée de son avocat.
-> L’avocat peut intervenir même si l'audition a déjà avoir débuté.
-> L'assistance de l'avocat a pour objet de permettre un contrôle des droits accordés à la personne auditionnée mais aussi de lui apporter une assistance lors de l’audition : (+ voir modifications apportées à la loi en 2016)
1° du respect du droit de la personne interrogée de ne pas s'accuser
elle-même, ainsi que de sa liberté de choisir de faire une déclaration, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire;
2° du traitement réservé à la personne interrogée durant l'audition, en particulier de l'exercice manifeste de pressions ou contraintes illicites;
3° de la notification des droits de la défense visés à l'article 47bis du Code d'instruction criminelle et de la régularité de l'audition.
+ modifications apportées par la loi de 2016 :
- L'avocat peut faire mentionner sur la feuille d'audition les violations des droits visés aux a), b) et c), qu'il estime avoir observées.
- L'avocat peut demander qu'il soit procédé à tel acte d'information ou à telle audition.
- Il peut demander des clarifications sur des questions qui sont posées.
- Il peut formuler des observations sur l'enquête et sur l'audition.
- Il ne lui est toutefois pas permis de répondre à la place du suspect ou d'entraver le déroulement de l'audition.
- Tous ces éléments sont consignés avec précision dans le procès-verbal d'audition.
Interruption de l’audition:
- L'audition peut être interrompue pendant quinze minutes au maximum en vue d'une concertation confidentielle supplémentaire :
-> soit une seule fois à la demande de la personne interrogée elle-même ou à la demande de son avocat,
-> soit en cas de révélation de nouvelles infractions qui ne sont pas en relation avec les faits qui sont à la base de l’audition et qui ont été communiqué à la personne interrogée avant le début de l’audition.
Spécificité du rôle de l’avocat lors de l’assistance du mineur auditionné
Ayant à faire à un mineur, l’avocat choisi par le jeune ou commis d’office pour l’assister aura pour mission particulière de vérifier que le mineur a bien compris ses droits.
Le formulaire annexé à la convocation qui est envoyée au jeune est souvent peu adapté à son âge. L’avocat veillera à le « traduire » dans un langage compréhensible par le mineur et à répondre à toutes les questions que ce dernier se poserait.
Intervenant pour le mineur et non pour ses parents, il est tenu au secret professionnel par rapport à ses derniers et ne leur transmettra que les informations que son client lui aura permis de rapporter.
Pour veiller à son indépendance, l’avocat, choisi par le jeune ou commis d’office, intervient dans les conditions de l’aide juridique gratuite.
Dans le cadre d’une audition salduz 3 (mineur suspect non privé de liberté), l’avocat prendra contact avec le jeune avant l’audition pour parler avec lui de ses droits et le conseiller par rapport à l’audition elle-même (contenu, forme, droit de se taire).
Depuis les modifications apportées par la loi de 2016, le rôle de l’avocat lors de l’audition est accru. Il n’hésitera pas à demander au policier de reformuler sa question si il sent que son jeune client ne l’a pas comprise. Il peut aussi proposer des questions permettant de mieux faire apparaitre le point de vue du jeune.
Il sera aussi particulièrement attentif au droit pour le jeune de connaitre de manière précise quel est l’objet de l’audition avant que celle-ci ne débute. Certains libellés trop vagues peuvent prêter à confusion (période visée très large, qualification floue,…).
Il veillera à rappeler au mineur qu’il n’a pas d’obligation de donner des informations relatives à sa vie privée ou à ses comptes sociaux mais qu’il peut le faire si il le souhaite. Si les questions relatives à ses informations ont pour objet d’éclairer le magistrat du parquet dans le cadre d’une éventuelle procédure protectionnelle, elles peuvent parfois s’avérer très intrusives et il est important que le droit pour le jeune de préserver sa vie privée lui soit rappelé.
Il aidera son jeune protégé lors de la relecture de son audition et n’hésitera pas à faire un « débriefing » avec lui après l’audition pour s’assurer que ce dernier a compris les suites qui pourraient être données à sa convocation à la police.
Il restera à la disposition du jeune pour répondre à d’éventuelles questions de celui-ci après l’audition.
La plupart des barreaux ont mis en place des systèmes de garde pour permettre que le mineur soit assisté par un avocat spécialisé en droit de la jeunesse.
[1] Par Amaury de Terwangne, publié en 6/2019
[2] Le titre exact de la loi est « loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction et à la réparation du dommage causé par ce fait » (Loi du 8/4/1965 modifiée notamment par la loi du 13/6/2006). Dans le cadre de cette contribution nous utiliserons l’expression « loi protectionnelle » lorsque nous parlerons de cette loi.
DOCUMENTS: |
PDF de formation sur la loi salduz audition par la police |
Col 11/2018 Circulaire des procureurs généraux relative à l'application de la loi salduz |
Article sur l'application de la loi salduz aux mineurs. |
Loi du 13 août 2011 et autres articles légaux |
DIRECTIVE (UE) 2016/800 du 11 mai 2016 relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales |
Fiche explicant le processus de désignation BAJ pour les salduz 3 |