L’évolution du rôle de l’avocat de l’enfant[1] :
Il y a une trentaine d’années, le rôle de l’avocat de l’enfant suscitait de vives polémiques tant au niveau du mandat qu’il était sensé remplir (avocat-tuteur / amicus curiae / avocat défenseur), qu’au niveau de l’effectivité de son intervention.
Fréquemment, lors de colloques ou de formations, les mêmes questions revenaient, pointant l’incompréhension du secteur de l’aide et de la protection de la jeunesse vis-à-vis de cet « ovni juridique » auquel la loi du 8 avril 1965 ouvrait petit à petit les portes.
Mais que venait-il faire sur l’échiquier protectionnel ? Où le placer ?
Dans les années 80, les rapports entre les avocats « jeunesse » et les juges étaient assez «distants».
Il convient de rappeler qu’à l’époque, la présence de l’avocat du mineur n’était requise que lors des audiences publiques. Tout le travail fait lors des entretiens de cabinet échappait au conseil du jeune qui arrivait en bout de course, parfois plusieurs années après l’ouverture du dossier. Nous étions encore majoritairement dans l’idéologie de la loi du 8 avril 1965 où le juge de la jeunesse agissait en bon père de famille. Les droits de l’enfant passaient au second plan sans que nous ne devions nous en inquiéter puisque « ceux qui savent » agissaient dans l’intérêt supérieur de leurs jeunes protégés. Evoquer l’idée que le mineur exerce lui-même ses droits apparaissait au mieux comme l’expression poétique d’un complexe de Peter Pan non avoué, au pire comme la confirmation que les avocats étaient vraiment des êtres bizarres dont le seul objectif était de compliquer ce qui pouvait être simple.
Les avocats avaient aussi peu de place au niveau du service d’aide à la jeunesse. En effet, les conseillers de l’aide à la jeunesse, fraichement nommés suite à l’entrée en vigueur du décret du 4/3/1991, se considéraient comme les premiers « défenseurs de l’enfant ». Il n’y avait dès lors pas de place au S.A.J. pour ces empêcheurs de tourner en rond que sont les avocats . L’aide à la jeunesse relevait du social, pas besoin d’y introduire des juristes.
D’ailleurs, dans le secteur de l’aide et de la protection de la jeunesse, l’image de l’avocat du mineur était assez désastreuse. Il était à la fois investi de supers pouvoirs (il devait savoir écouter les enfants, leur expliquer le droit, être pédagogue, être psychologue, avoir des connaissances en sociologie des familles, se comporter en avocat-parent responsable (ce qui impliquait qu’il ne dise pas trop ses droits au mineur, histoire de ne pas en faire un rebelle ) et …, accessoirement diront certains, devait maitriser le droit de la jeunesse (car il est bien connu que quand on fait de la jeunesse, on ne fait pas du droit…). Et, dans le même temps, l’avocat de l’enfant était généralement considéré comme un « pot de fleur » siégeant aux audiences sans connaissance approfondie de ses dossiers. Il ne rencontrait pas souvent son jeune client, avait un accès aux rapports en fin de procédure et avait été écarté de toute l’évolution de la situation du mineur durant la phase provisoire.
Aussi jeune dans sa pratique de l’avocature que dans sa vie de parent, les avocats du mineur jouissaient auprès des acteurs de l’aide à la jeunesse d’un crédit équivalent à celui d’une betterave moldave dans un plat de sushis japonais.
Cette image leur collera à la peau pendant de nombreuses années, et, ils seront fréquemment interpellés sur la qualité voire l’opportunité de leur mandat.
Malgré ces conditions d’intervention difficiles, plusieurs barreaux mirent en place des embryons de permanences basées avant tout sur la bonne volonté de quelques passionnés du droit de la jeunesse.
En 1994, une réforme significative de la loi protectionnelle impose la présence de l’avocat du mineur lors des entretiens de cabinet.
Ils allaient enfin pouvoir pénétrer dans le cabinet du juge de la jeunesse. Fini les caucus juge – mineur et parfois les dérapages qu’ils entrainaient, fini l’avocat qui n’intervient qu’en bout de procédure.
Le mineur n’a pas envie de parler, c’est son droit. Le mineur choisit de raconter des carabistouilles, c’est son droit aussi. A-t-on déjà vu des juges interdire à des parents de s’exprimer au motif que ce qu’ils disent n’a ni queue ni tête ou qu’ils font preuve d’un manque complet de discernement ?
Non, et bien il en sera de même pour le mineur. La pratique nous a vite enseigné que la parole du jeune était bien souvent plus digne d’intérêt qu’on ne le croyait.
L’infans (le sans voix) a désormais le droit de se faire entendre à tous les stades de la procédure et son conseil se devra d’être la « duracel[1]» de ce droit. Comme le dit la publicité, elle ne s’éteint jamais. L’avocat de l’enfant est donc un éternel trublion qui vient rappeler la petite voix de son client dans le concert des adultes.
Cette réforme obligea les barreaux à créer, bien avant la loi Salduz, un système d’assistance des mineurs 7 jours sur 7. Ainsi, depuis 1995, un avocat spécialisé en droit de la jeunesse est présent tous les jours pour assister les mineurs déférés devant le procureur ou le juge de la jeunesse.
1998 marque une autre étape importante. La loi réformant l’aide juridique apporta une bouffée d’oxygène[2] à l’ancien pro deo. Le libre choix de l’avocat, le volontariat des avocats pratiquant de l’aide juridique, des exigences qualitatives et un début de rémunération[3] plus acceptable étaient à l’ordre du jour.
Les « colonnes jeunesses du B.C.D. » devinrent des « sections du B.A.J. ». Mais surtout, elles purent se spécialiser et permettre à des avocats de pratiquer cette matière par choix et non plus pour remplir leurs obligations de stage. Qui plus est, la réforme faisait enfin sauter la limite dans le temps en permettant à des avocats plus aguerris d’intervenir pour des mineurs dans le cadre de l’aide juridique.
Petit à petit, l’image de l’avocat du jeune a changé dans le secteur de l’aide et de la protection de la jeunesse et les avocats des mineurs ont gagné en crédibilité. Pourtant, ils n’étaient pas tout-à-fait au clair par rapport à l’étendue de leur mandat.
Leur « commission d’office » par le bâtonnier, les autorisait-elle à dépasser la parole de notre jeune client et à être son « tuteur » ou bien devaient-ils nous cantonner à un rôle d’avocat-défenseur traditionnel ?
Les débats autour de cette question ont été aussi vifs que passionnés. Ils aboutiront à un règlement d’Avocats.be qui, s’inscrivant dans le sillage des arrêts de la Cour européenne des droit de l’homme, détaille les missions de l’avocat de l’enfant et son obligation d’être d’abord et avant tout le fidèle porte-parole de son protégé.
Le conseil du mineur ne développe pas sa vision de l’intérêt de son jeune client mais la vision que l’enfant se fait de son intérêt.
Par la suite, le champ d’intervention de l’avocat du mineur ne va cesser de s’étendre :
Astreignante, délicate, demandant des compétences qui dépassent la simple formation juridique (capacité d’écoute, accessibilité, psychologie, et une bonne dose de modestie entre autre) , la défense des mineurs est un enrichissement quotidien pour le praticien de la jeunesse.
Bien réalisée, elle sera un jalon dans le parcours du jeune. Elle se transformera en un lieu d’apprentissage de ses droits et des limites assignées à ceux-ci.
En favorisant une place pour sa parole dans les débats qui le concernent, l’avocat permet au jeune de faire l’apprentissage de la citoyenneté et de la démocratie.
Il lui apprend qu’aucune parole n’est prioritaire par essence et que les décisions le concernant ne seront prises qu’au terme d’un débat contradictoire pendant lequel différentes visions légitimes de son intérêt, dont la sienne, pourront être exprimées.
Vous trouverez dans la colonne se trouvant sur la droite de cet onglet le règlement d’Avocats.be et différents articles reprenant de manière plus approfondies les obligations du mandat de l’avocat du mineur devant le juge de la jeunesse ou au SAJ.
[1] Auteur : Amaury de Terwangne, juin 2019
[1] Duracel : marque de pile dont la publicité prétendait qu’elle avaient une durée d’utilisation exceptionnelle
[2] Loi du 23/11/1998 relative à l’aide juridique.
[3] Depuis 1995, la loi avait supprimé la différence entre les avocats stagiaires et les avocats inscrits au tableau. Mais ces derniers devront attendre le 1er septembre 1997 pour pouvoir bénéficier des indemnités pro deo.
DOCUMENTS: |
Le mandat de l'avocat |
PDF de formation sur l'avocat du mineur |
L'assistance du mineur de 12 à 14 ans par un avocat au SAJ |
Code de déontologie de l'avocat (extraits) |
Copie du dossier au tribunal de la jeunesse |